Comment décarboner les bâtiments commerciaux et institutionnels?

Les bâtiments commerciaux et institutionnels (C&I) consomment 11% de l’énergie totale consommée au Canada, principalement pour chauffer les espaces et l’eau sanitaire. Ces bâtiments représentent 9% des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada, notamment car la majorité d’entre eux se chauffent au mazout ou au gaz naturel. Par exemple, au Québec, une des provinces où le chauffage électrique est le plus utilisé dans les bâtiments résidentiels, les énergies fossiles chauffent environ 48% des bâtiments C&I et sont la première source d’énergie pour le chauffage.

Différentes technologies qui émettent peu de GES existent pour chauffer les bâtiments. Il existe des solutions qui utilisent de l’électricité, l’énergie solaire, la biomasse ou encore de l’hydrogène. Ces sources d’énergie sont ou peuvent être bas carbone et permettre de réduire l’empreinte environnementale des bâtiments. De plus, ces solutions peuvent être mises en place dans des bâtiments existants. Pour autant, de très nombreux bâtiments continuent d’utiliser des énergies fossiles pour se chauffer, et ce même dans les bâtiments neufs. Plusieurs freins technologiques, économiques, sociaux et structuraux peuvent expliquer cette situation. Par exemple, il existe peu de réglementation sur les émissions de GES d’un bâtiment, le coût de l’énergie est relativement faible ce qui n’incite pas les propriétaires à y porter une forte attention ou encore les connaissances sur les impacts environnementaux des bâtiments ne sont pas suffisamment répandues. Parmi les solutions pour répondre à ces freins, nous allons ici nous concentrer sur la réglementation et la diffusion des connaissances. Plusieurs autres freins sont détaillés dans le rapport de l’Accélérateur de transition sur les bâtiments C&I avec une présentation des solutions technologiques ainsi que des propositions de réponse aux freins.

Actuellement, la majorité des choix concernant les bâtiments C&I sont pris sur un critère économique. Les frais énergétiques d’un bâtiment ne représentent généralement qu’une petite fraction des dépenses ce qui n’incite pas les acteurs à porter y porter une attention. De nombreux propriétaires louent leurs bâtiments et ce sont les locataires qui payent les factures d’électricité ou de gaz. Le propriétaire n’est donc pas très concerné par les conséquences de ce système de chauffage. Par exemple, il n’a aucun intérêt économique à investir pour mieux isoler son bâtiment puisque c’est le locataire qui profitera des économies de chauffage. Les bâtiments sont souvent vus par leurs propriétaires comme des actifs financiers, qu’ils peuvent revendre quelques années après l’achat si le contexte y est favorable. De ce fait, il est difficile d’envisager des investissements importants sur le long terme, comme un système de chauffage bas carbone qui permet de faire des économies mais qui demande un investissement initial important. Il semble difficile d’envisager que la situation évolue d’elle-même. Un changement de la réglementation semble donc être une des meilleures solutions pour que les choses évoluent.

Une solution qui doit être étudiée, selon nous, est d’imposer des limites sur les émissions de GES d’un bâtiment, par exemple avec un taux maximal de GES par m². Il est même envisageable d’imposer que les bâtiments soient carbone neutre, c’est-à-dire que les bâtiments n’émettent aucun GES ou qu’ils soient compensés par une séquestration de carbone. Différentes villes ou régions dans le monde ont pris des engagements de ce type avec un objectif de carboneutralité en 2050. Pour que cela soit efficace, il est aussi nécessaire d’imposer des objectifs intermédiaires. Par exemple, si le Canada se donne pour objectif que tous les bâtiments C&I soient carbone neutres en 2050, il faudra mettre en place des émissions de GES maximales par m² tous les 5 ou 10 ans. Les acteurs seraient ainsi obligés de planifier sur le long terme les transformations à réaliser sur les bâtiments pour respecter ces limites. Cela donnerait aussi de la valeur aux bâtiments qui ont déjà investis pour réduire leurs émissions puisque ces bâtiments nécessiteront moins d’investissements dans le futur.

Il nous semble aussi important de rendre moins avantageux l’utilisation de technologies fortement émettrices de GES. Par exemple, il est possible d’interdire l’utilisation de chaudières au mazout ou au gaz naturel, d’augmenter, à travers des taxes, le coût des énergies fossiles ou encore de créer une taxe sur les émissions de GES d’un bâtiment.

Tout cela rendrait plus intéressants économiquement les technologies bas carbones actuellement peu répandues. Une utilisation plus importante de ces technologies permettra de développer les connaissances à leur sujet et ainsi augmenter leur efficacité tout en réduisant leurs coûts.

Une transformation du secteur des bâtiments C&I passe aussi par une meilleure diffusion des connaissances sur les impacts des bâtiments et sur les solutions qui existent. Une des raisons pour lesquelles les nouveaux bâtiments sont encore souvent chauffées au gaz naturel est que c’est une technologie pour laquelle les avantages et les inconvénients sont connus. Celle-ci est aussi largement utilisée ce qui signifie qu’il est facile de trouver une entreprise compétente pour l’installation, l’entretien ou la maintenance. Pour les nouvelles technologies, les entreprises n’ont pas nécessairement l’habitude de travailler avec et ont donc plus d’incertitudes. Comme ces technologies ne sont pas très répandues, les connaissances pour l’installation, l’entretien et la maintenance sont aussi plus rares. Pour qu’une entreprise puisse proposer un système de chauffage différent, elle doit former certains de ces employés ce qui demande du temps et de l’argent. Tout cela n’incite pas les acteurs à choisir ces solutions et parfois ces derniers ne les considèrent même pas. Mais si ces technologies ne sont jamais installées, elles ne pourront pas prouver leur utilité. Sensibiliser les propriétaires et les entreprises sur la réalité de ces solutions et leurs avantages par rapport aux autres technologies permet de les promouvoir et d’inciter les acteurs à les choisir.

Une sensibilisation des acteurs est aussi nécessaire quant à la consommation énergétique de manière générale et aux gains d’efficacité qu’il est possible de réaliser, parfois avec très peu d’investissements. Certains propriétaires ne connaissent pas la quantité d’énergie consommée par leurs bâtiments, si c’est une consommation importante ou non par rapport à d’autres bâtiments similaires, s’il est possible de mieux faire et à quel coût, etc. Dans de très nombreux cas, réduire les émissions de GES d’un bâtiment est rentable. De plus, avoir des bâtiments bien conçus a d’autres avantages que la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de GES. Il est démontré qu’avoir un bâtiment bien isolé avec une ventilation efficace permet, entre autres, d’améliorer de manière significative les conditions de travail des occupants, ce qui mène à moins de maladies, moins d’arrêts maladies et une efficacité de travail plus importante. Pour autant tous les acteurs n’ont pas accès à ces informations et ne voient donc pas toujours l’intérêt d’investir pour réduire l’impact de leur bâtiment.

Les solutions technologiques pour décarboner les bâtiments C&I existent et sont largement connues. Maintenant il faut une réelle volonté, et notamment une volonté politique, pour mettre en place ces solutions. Il faut mettre en place un cadre qui pousse les propriétaires de bâtiments dans la bonne direction. Ce cadre doit contenir un aspect coercitif pour forcer les acteurs à mettre des choses en place et à atteindre des résultats, mais aussi un aspect incitatif pour permettre aux acteurs de comprendre les intérêts qu’ils ont à mieux concevoir ou rénover leurs bâtiments et qu’ils soient proactifs dans la transformation. Des villes comme New York et Los Angeles, ou des provinces comme la Colombie Britannique se sont déjà engagées dans cette direction. Il ne reste plus qu’aux autres provinces canadiennes, ou au gouvernement fédéral de mettre en place les lois, les taxes, les subventions ou encore le partage de l’information permettant de décarboner les bâtiments C&I au Canada.

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